CORPUS NOSTRADAMUS 228 -- par Patrice Guinard

IX.46 : Plus de 400 sorciers brûlés vifs à Toulouse en 1577


Toulouse a une histoire chargée (de cadavres) dans l'application musclée des lois et des consensus dominants, depuis les tribunaux d'Inquisition confiés aux Dominicains en 1234 et fonctionnant à plein régime sous l'inquisiteur Bernard Gui au début du XIVe siècle, jusqu'aux condamnations par le Parlement de Toulouse à partir du XVe siècle, et parmi d'autres : étranglement et condamnation au bûcher du philosophe panthéiste Lucilio Vanini le 9 février 1619, puis du marchand protestant Jean Calas un siècle et demi plus tard. Les hérétiques, contestataires, dissidents et autres non-alignés n'y ont jamais été bienvenus.

Vuydez, fuyez de Tholose les rouges
Du sacrifice faire expiration,
Le chef du mal desouz l'umbre des courges
Mort estrangler carne omination.


vers 2 (prosodie) : expirati-on (diérèse)
vers 2 (lexique) : "expiration" du latin exspiratio, exhalaison, odeur se dégageant d'un corps
vers 3 (variante) : Rigaud A/B/C: "dessouz" (mais je maintiens "desouz" en raison de la contrepèterie : cf. infra)
vers 4 (prosodie) : prononcer "carn' ominati-on" (avalement de la finale de "carne" puis diérèse)

Le quatrain se rapporte aux événements de 1577 : plus de 400 sorciers et sorcières furent condamnés et brûlés comme du bétail (après avoir été étranglés ?) par décision du parlement de Toulouse, comme l'atteste Pierre Grégoire, professeur de droit à l'université de Toulouse, dix ans après le carnage : "Nam & Tholosae hoc anno 1577 tot maleficae & sortilegiae in senatu undique reae peractae sunt, ut omnium reorum qui a duobus annis ante fuerunt quorumcunque criminum numerum superarent, & maleficiorum cumulo vincerent, fere plus quam quadringentae, quarum pars Vulcano sacratae, aliae aliis tormentis sublatae, vel emendatae. Et quod mirum est, omnes fere a diabolo notam inustam certo loco habebant : prodideruntque execrabilia plura, & impia." (Syntagmatis juris universi, Tertia ac Postrema pars, Lyon, Jean Pillehotte, 1587, 34.21, p.347)

Louis Figuier a partiellement traduit ce passage (avec mes compléments entre parenthèses) : "Les sorciers que le sénat de Toulouse eut à juger en 1577 étaient à eux seuls plus nombreux que tous les accusés non sorciers qui furent déférés à la justice locale pendant l'espace de deux ans. Beaucoup d'entre eux eurent à subir des peines plus ou moins graves : (plus) de quatre cents furent condamnés à périr au milieu des flammes, (d'autres subirent la torture) ; et, ce qui n'est pas fait pour exciter une médiocre surprise, presque tous portaient la marque du diable (et en arboraient encore de plus exécrables et impies)." (in Histoire du merveilleux dans les temps modernes, Paris, Hachette, 1860, vol. 1, p.52).

Les rouges au vers 1 sont les hérétiques arborant la couleur du diable, le rouge des flammes de l'enfer dans l'imagerie chrétienne.
Du sacrifice (ils feront) expiration : le vers 2 fait allusion au rituel grec, réduit ici à la seule odeur se dégageant des corps calcinés.
Aux vers suivants, "courges" et "carne" sont à rapprocher : un carnage (institué ou exécuté par) des courges, ou par anagramme, "carn(a)ge : courez !"
(i.e. "coures" pour "courés", comme Nostradamus le fait usuellement, par exemple "pourres" pour "pourrez" dans une lettre du 5 août 1565 adressée à J. Lobetius).

Au vers 3, probablement une contrepèterie approximative et prudente de Nostradamus (/an/ pour /on/) : le principe ou l'instigateur du mal se cachant derrière (dessouz) l'encre de Bourges !
Bourges, c'est la capitale française du droit et de la législation au XVIe siècle. Calvin et Bèze y font leurs classes. Le célèbre Jacques Cujas (qui incidemment consonne deux fois avec "courges"), natif de Toulouse, y réhabilite le Corpus Juris de Justinien. Ainsi le Mal n'est pas attaché aux pauvres diables calcinés à Toulouse, mais aux têtes sans cervelle (courges) qui ont réglementé et orchestré leur mise à mort.

Gregorius ne dit pas s'ils furent étranglés avant crémation (mais Vanini et Cujas l'ont été). Par aphérèse et souci prosodique, Nostradamus a supprimé le préfixe /ab/ qui désigne aussi l'ablatif, dans sa magnifique formule du dernier hémistiche, carne omination (présage corporel). Il faut restituer l'ablatif par réarrangement graphique (carneo mination, du latin minatio, action de menacer : la menace de calciner les corps des victimes), puis par adjonction : ab-o-mination. Et donc lire "carn' (ab)omination", du latin carneo (à l'ablatif) et abominatio : abomination par la chair !

 
Retour à l'index
Bibliographie
Retour Nostradamica
Accueil CURA
 
 
Patrice Guinard: IX.46 : Plus de 400 sorciers brûlés vifs à Toulouse en 1577
http://cura.free.fr/dico8art/1805q946.html
20-05-2018 ; rev. 15-08-2018
© 2018 Patrice Guinard