CORPUS NOSTRADAMUS 162 -- par Patrice Guinard

Le second quatrain latin LEGIS CANTIO
 

En 1557 chez son complice Antoine du Rosne, Nostradamus fait imprimer deux versions de sa traduction de Galien dont l'une probablement postdatée (cf. CN 69) et deux versions de ses Prophéties, à 642 et à 639 quatrains. Dans chacun de ces textes figure une pièce versifiée en latin. L'un des trois quatrains omis dans la seconde édition des Prophéties (connue par une copie : cf. CN 106) est un quatrain en latin trouvé dans un ouvrage à succès de l'humaniste italien Pietro Crinito : De honesta Disciplina (Brind'Amour, 1993) ; l'autre est une épigramme figurant dans les Inscriptiones sacrosanctae vetustatis de Petrus Apianus (Lucien de Luca, juin 2004, Logodaedalia ; cf. CN 68). On ignore si La Paraphrase de C. Galen, sus l'exortation de Menodote a été publiée avant les Prophéties (en septembre 1557). En ce cas, le quatrain crinitien serait le second quatrain latin à prendre en compte. L'avertissement pris dans Crinitus et rajouté aux Prophéties renvoie aussi à la mise en garde "Contre les ineptes translateurs" sous forme de dizain et à la "Censura ad Lectorem" figurant après la préface de la traduction de Galien (cf. CN 67).

L'ouvrage de Crinito a connu de nombreuses éditions, surtout parisiennes : Florence (Filippo Giunta) 1504 ; Paris 1508 ; Paris 1510 ; Paris 1513 ; Paris 1518 ; Paris 1520 ; Paris 1530 ; Bâle 1532 ; Lyon (Sébastien Gryphus) 1543 ; ibid. 1554, etc. Ci-suivent six versions du quatrain dans l'édition princeps florentine et la première édition parisienne (identiques hormis la ponctuation), dans les deux éditions lyonnaises (dont le texte de l'une d'elle a probablement servi de modèle à Nostradamus), et dans les deux premières éditions des Prophéties connues dans lesquelles figure le quatrain non numéroté, le 600e des Prophéties : l'édition Antoine du Rosne de 1557 et la première édition Benoist Rigaud datée de 1568 dont le second livre reproduirait l'édition perdue de 1558.

Legis cautio contra ineptos criticos (versions 1504 et 1508)
Quoi legent hosce libros mature censunto,
Profanum volgus, & inscium ne attrectato,
Omneisque legulei, blenni, barbari procul sunto.
Qui aliter faxit, is rite sacer esto.

Legis cautio contra ineptos criticos (versions lyonnaises 1543 et 1554)
Quoi legent hosce libros maturè censunto,
Profanum volgus & inscium, ne attrectato,
Omnesque legulei, blenni, barbari procul sunto,
Qui aliter faxit, is ritè sacer esto.

Legis cantio contra ineptos criticos (versions des Prophéties, 1557 et 1568X)
Quos legent hosce versus maturè censunto,
Profanum vulgus, & inscium ne attrestato [attrectato in version 1568B]:
Omnesque Astrologi Blenni, Barbari procul sunto,
Qui aliter facit, is rite [ritè en 1568], sacer esto.

 

LEGIS CANTIO, ed 1557
 
Entre les premières versions et les versions lyonnaises, peu de différences (en gras) : l'accentuation de "maturè" et "ritè" et "Omnes" pour "Omnei", toutes conservées dans la version de Nostradamus. C'est donc la version Gryphus que suit le quatrain des Prophéties. En revanche les différences (en rouge) entre les versions lyonnaises et les versions nostradamiennes sont significatives et probablement intentionnelles, hormis le terme "attrestato" (qui ne veut rien dire) pour "attrectato" (d'ailleurs corrigé dans l'édition B de Benoist Rigaud). Notons aussi la mise en majuscules de LEGIS CANTIO dans l'édition de 1557.

LEGIS CAUTIO, ed 1508 LEGIS CAUTIO, ed 1543 LEGIS CANTIO, ed 1568 X LEGIS CANTIO, ed 1568 B
 

Les principales différences sont les suivantes :
CANTIO (chant, incantation) pour CAUTIO (clause, prescription)
VERSUS (vers, lignes) pour LIBROS (livres)
ASTROLOGI (astrologues) pour LEGULEI (avocats procéduriers, chicaneurs)

De nombreux interprètes ont proposé leur version (par exemple Leroux, 1710, p.61-62). Notons celles de Raoul Busquet (1950, p.63) et de Brind'Amour (1993, p.100), avant la mienne :

DISPOSITION DE LA LOI CONTRE LES CRITIQUES INCOMPETENTS (Busquet)
Que ceux qui liront ces vers y appliquent leur attention attentive
Que la foule profane et ignorante se garde d'y toucher
Que tous les Astrologues, les Sots, les Barbares s'en tiennent à distance
Celui qui se comportera autrement, qu'il soit rituellement voué aux dieux (i.e. mis hors-la-loi).


CAUTION DE LOI CONTRE LES CRITIQUES INEPTES (Brind'Amour)
Ceux qui liront ces vers, que mûrement ils <les> méditent ;
Que la foule profane et ignorante ne <les> touche pas
Et que tous les Astrologues, les Rustres, les Barbares s'en éloignent ;
Celui qui aura agi autrement, qu'il soit selon le rite <déclaré> sacré.



INCANTATION PRESCRIPTIVE CONTRE LES CRITIQUES STUPIDES
Que ceux qui liront ces vers les méditent soigneusement.
Que le vulgaire, profane et ignorant, se garde d'y toucher
Et que les astrologues ineptes et tous les béotiens s'en écartent :
Que soit maudit selon le rite celui qui agirait autrement.

 

Busquet et Brind'Amour (ce dernier, habitué à transformer le texte de Nostradamus à sa convenance) ne traduisent pas le titre donné par Nostradamus mais celui figurant dans Crinitus. D'innombrables anti-astrologues, qui ne se sont pas sentis concernés par le titre donné au quatrain, suivent les traductions fautives qui en sont généralement données en assénant que Nostradamus, qui par ailleurs se déclare astrophile et dresse les thèmes des jeunes rois de France (cf. CN 135), aurait implicitement interdit aux astrologues de s'occuper de ses vers. Stupidité anti-astrologique primaire ! Car Nostradamus a supprimé la virgule après "Astrologi" et fait de Blenni, pluriel de blennus (stupide, niais, benêt) un adjectif malgré la majuscule, et non un substantif. Ce qui n'est pas la même chose ! Ainsi ceux qu'il menace et à qui il déconseille de déblatérer sur son oeuvre sont, non pas les astrophiles et les astrologues compétents, mais les astrologues incultes (du type Videl), astrologi blenni, et les critiques incompétents, ces "bestes brutes" et "asnes ebetés" auxquels il s'en prend dans son texte sur l'éclipse de 1559 (cf. CN 119) !

Nostradamus s'est servi du contenu énigmatique de l'épigramme pour chiffrer sa traduction de Galien à l'aide de lettres droites anormalement insérées dans les pièces versifiées en italiques de son texte (cf. CN 68 et CN 69). On peut supposer que les deux quatrains sont liés et que le second, qui présente quelques changements significatifs par rapport au texte de Crinitus, est lui-même chiffré de quelque manière.

Il l'est déjà -- Nostradamus l'aura remarqué -- par les initiales qui composent les cinq mots du titre, Legis Cautio Contra Ineptos Criticos, qui sont aussi des nombres romains : L C C I C : soit un total de 351 en additionnant tous les nombres, soit un total de 249 en lisant le nombre selon ses propriétés, c'est-à-dire en soustrayant 50 à 200 et 1 à 100, i.e. L C C (150) + I C (99) = 249. Nostradamus a peut-être vu dans ce nombre 249 l'inverse en miroir du nombre total de quatrains des Prophéties (942). On a encore 249 = 3 × (42 + 40 + 1) avec "42" le nombre de quatrains à la VIIe centurie dans la première édition Du Rosne, "40" le nombre de quatrains à la VIIe centurie dans la seconde édition Du Rosne, "3" représentant les trois quatrains omis dans la seconde édition, et "1" le quatrain latin. Et en plaçant ce quatrain, le seul en latin et le seul sans attribution de numéro, à la 600e place de ses Centuries, Nostradamus indique que la somme des deux totaux 249 et 341 est égale à 600. C'est là le principe numérologique et ludique qui innerve les Centuries ! [Et à ma connaissance, peut-être partiellement défaillante, personne ne s'en était encore aperçu.]

Notons que les termes finaux des vers (censunto, attrestato ou attrectato, sunto, esto) contiennent les lettres de "Nostradamus" (hormis les lettres D et M), et examinons les différences, lettre à lettre, de chacun des termes remplacés (cautio/cantio, quoi/quos, etc), en commençant par les lettres isolées (et en omettant le terme "attrestato" qui est une probable faute d'imprimeur).

U => N (cautio/cantio)
I => S (quoi/quos)
O => U (volgus/vulgus)
X => C (faxit/facit)
LIBO => VESU (libros/versus)  ou  LB => VE  (en raison des transformations précédentes)
LEUE => ASTROO (legulei/astrologi) ou LU => ASTR (en admettant la double transformation E => O)

Les 11 lettres remplacées, à savoir N, S, V, E, U, A, S, T, R, O et C, se retrouvent dans l'expression CAVE NOSTRA(D)A(M)US, hormis une fois encore les lettres D et M et à condition de tripler la lettre A, ou dans CAVE NOSTR(ADAM)US (sans la tripler). Bien qu'on retrouve quatre des cinq lettrines de la première édition (cf. CN 26) formant le vocable latin cave (fais attention) et qu'on pense au quatrain VIII-66 (Quant l'escriture D. M. trouvee), ces résultats apparaissent bien maigres et je n'en tire aucune conclusion. Les remplacements de lettres et de mots à partir du texte de Crinitus n'aboutissent pas pour l'heure à un résultat concluant quant à leur éventuel chiffrement. La question reste donc posée.


Retour à l'index
Bibliographie
Retour Nostradamica
Accueil CURA
 
Patrice Guinard: Le second quatrain latin LEGIS CANTIO
http://cura.free.fr/dico8art/1202cantio.html
14-02-2012 ; updated 10-10-2018
© 2012-2018 Patrice Guinard